Jour de cueillette

28 juin 2006

Aujourd’hui, c´est la journée d´activité prévue avec les mentawais. Ils nous proposent de les accompagner pour la cueillette des Durians, un fruit bien connu en Asie et très apprécié, à la chair jaune, et à l´extérieur vert hérissé de gros piquants, d´environ 35 cm de longueur. Pourquoi pas?

Nous partons donc tous après le petit déjeuner affublé de paniers végétaux sur le dos, fabriqué à la main par les mentawais. Probablement, une petite balade de 10 minutes pour arriver jusqu’aux arbres pensons-nous… 
Tant mieux car nous sommes courbaturés de nos marches et surtout de nos nuits (qu’il est dur ce plancher en bois pour nos corps!).

Grosse erreur. Nous marchons plus d´une heure, sous le soleil, dans la boue, en traversant des cours d´eau, en escaladant des troncs d´arbres morts en travers du chemin, notre panier se prenant dans des branches d’arbres…. 
Tout ça pour aller cueillir quelques fruits? Tant d´efforts déployés!

Nous arrivons épuisés à destination. Les mentawais sont déjà là depuis un moment et la cueillette a déjà commencé.
Un des hommes a grimpé en haut de l´arbre à durian, à 30 mètres de hauteur et coupe la queue des fruits avec sa machette. Les fruits tombent sur le sol avec un bruit sourd sans se fendre. Tout le monde attend sagement un peu plus loin cari l ne faudrait pas se prendre un durian, qui pèse bien 2 kg, sur la tête!

Sitôt fini, les mentawaïs se précipitent sous l´arbre pour mettre les durian, qu’elles attrapent en plantant leur machette dans l´écorce (n´oublions pas les piquants!) dans les paniers..

un arbre terminé et on s´éloigne pour passer a un autre. Nous assistons ébahis à l´escalade du 2ème arbre par un autre grimpeur. 
Il se sert d´un cerceau ouvert en bambou, recouvert d´un tissu végétal à base d´écorce (pour “accrocher” et ne pas glisser sur l´arbre).

L´une des extrémités du cerceau entoure son poignet et il tient l´autre extrémité dans cette même main. Pour grimper, il entoure le cerceau autour de l´arbre et s´en aide comme d´un appui. 
De sa main libre, il tient sa machette pour faire des entailles dans le tronc de l´arbre, lui permettant d´avoir un appui plus stable pour ses pieds.

Il monte à une vitesse surprenante, extrêmement concentré (on imagine bien pourquoi, toute chute serait terrible!). 
Son corps et ses muscles sont tendus sous l´effort qu’on devine intense.

Nous avons tous les yeux fixes sur lui, en silence. C´est un moment intense. Quand il est arrive en haut et s´assoit sur une branche, la tension redescend.
A sa descente, il est couvert de sueur. Seuls les hommes jeunes grimpent ainsi aux arbres, on comprend pourquoi!

La cueillette a été bonne et bien que beaucoup de durians soient mangés sur place (tout le monde est affamé après la marche et la cueillette et il ne doit pas être loin de midi), il y a assez de durian pour remplir tous les paniers qui deviennent d´un coup très lourds… 
D´autant que les lanières végétales ne sont pas très confortables et entaillent nos épaules. 

Enfin, sauf les miennes car je suis la seule à n´avoir pas de panier… ils ont du s´apercevoir que la marche était assez difficile pour moi et que je m´en sortais à peine! Quelle piètre aventurière je fais!

Nous entamons le chemin de retour et faisons une halte près d´une rivière. 2 mentawais vont couper un arbre dont l´écorce sert à fabriquer le petit pagne végétal qu’ils portent. 
Cette fois, c´est pour Vincent et Frédéric qu´ils prélèvent l écorce afin de leur fabriquer un petit pagne! Edda et moi sommes emballés, mais nos hommes ne le voient pas de cet oeil!

Nous reprenons la route, charges comme des ânes. Les enfants ont eux aussi des paniers remplis à ras bord, même les petits. 
Tous les mentawais marchent pieds nus, à vive allure, avec une agilité surprenante. 2 des femmes portent de lourdes charges de longs bambous. L’une d´elle est enceinte jusqu’au cou….

Il est presque 15h quand nous rentrons à la maison. Nous sommes épuisés. Tant d´efforts déployés pour aller cueillir quelques fruits!! Quelle vie difficile! 
Nous sombrons dans une petite sieste réparatrice…

En fin d´après-midi, Vincent et Frederic doivent s´occuper de leur future pagne. Un mentawai leur montre comment tanner l´écorce avec un gros gourdin de bois et ils s´exécutent, une cigarette à la bouche.
Nous les regardons, amusés, également une cigarette à la bouche. 

Nous nous sommes tous mis à fumer de stress et de fatigue, alors que nous sommes normalement non fumeurs. Un comble quand on sait que nous sommes loin du bruit, du traffic, de la pollution qualifiés de stressant dans notre société.

En fait, nous sommes bien plus stressés par les conditions de vie difficile des mentawais, et la jungle, milieu hostile. Tout est toujours difficile, rien n´est simple.
Une cueillette banale et habituelle pour les mentawais s´est révèlé un trek épuisant pour nous. Se laver dans les rivières est un combat contre les insectes qui en profitent pour nous piquer partout. 

Et le petit pipi du soir est une vraie expédition! En effet, il faut descendre de la maison sur le tronc d´arbre sans glisser en tenant la lumière d´une main, le papier toilette de l´autre. Puis partir s´enfoncer dans la jungle pour trouver un endroit propice, en surveillant attentivement tout ce qui bouge…
Edda et Frederic ont aperçu cet après-midi un serpent noir raye rouge, réputé comme très venimeux… ce qui ne va pas pour nous rassurer!

Nous réalisons quelle vie facile nous avons en Occident, et à quel point nous avons de la chance.
Chez les mentawais, seuls les bébés les plus forts survivent. Les autres meurent en bas âge, souvent avant l´âge de 1 an. La mortalité infantile est très élevée. Ici pas de médicaments pour soigner les infections…

Il y a bien les chamans qui connaissent quelques mixtures a base de plantes. Mais quand Ed nous dit que n´importe qui peut être chaman, nous sommes un peu déçus… 
il faut juste offrir 30 cochons en sacrifice et faire seulement 3 mois d’apprentissage chez un chaman.

Les femmes sont très endurantes et costauds. Ed nous dit qu’il a déjà assisté à plusieurs accouchements et que les femmes ne poussaient pas un cri, tant pendant les contractions qu’à la délivrance. 
Pour une fois, on le croit!

Edda m´amène la petite fille de la maison, qui pleure, parce qu’elle s´est blessée au pied avec sa machette. Heureusement la plaie n´est pas profonde, et j´entreprends de la désinfecter. 
Lorsque j´applique le désinfectant, qui doit pourtant pas mal la bruler, elle ne bronche pas. Je suis étonnée. Les enfants aussi sont résistants à la douleur!

Elle est toute fière d´avoir un petit pansement blanc (qui ne le restera pas très longtemps…) et le montre aux autres.

A la nuit tombée, la vieille femme de la maison vient me chercher avec Edda pour aider les à la cuisine. 
Elles préparent du sagu, le plat traditionnel des mentawais, fair a partir d’un arbre particulier et dont la préparation aboutit à la fabrication d´une poudre blanche, comme de la farine.

Ce soir, elles mixent le sagu avec de la poudre de coco, ajoutent du sucre, apporté par Ed, et malaxent le tout, qu’elles déposent dans une feuille. 
La feuille est habilement repliée sur elle-même, puis est entourée en diagonale par une autre feuille. C´est cette dernière tache qui nous est demandée. 

Nous y mettons tout notre coeur et nous appliquons. Nous sommes fières quand la grand-mère nous dit que c´est bien. Quand tout le sagu a été utilisé, une femme allume le feu et fait cuire les petits bâtonnets constituées.
Edda et moi profitons de ce petit moment d´intimité avec les femmes pour leur apporter les bracelets que nous avons achetés. Elles sont ravies!

Rapidement, les petits bâtonnets de sagu sont cuits et retirés des feuilles. C’est très bon, sucré et croquant et nous mangeons de bon coeur avec elles.
La vieille femme lève un bras et s´écrie “sagu!” comme un cri de guerre, que nous reprenons tous en coeur, le poing levé. Crise de rire générale!

Puis Lili, la fille de la vieille femme nous demande de chanter des chansons. On s´exécute, alternant une fois Vincent et moi, une fois Edda et Frederic (enfin surtout Edda, Frederic faisant plus des pompompom…). 
Ce qui n´échappe pas a Lili qui dit a Frederic de chanter et non de faire des pompompom! Crise de rire!

Tous sont autour de nous, ainsi que les enfants qui semblent ravis du spectacle, auquel se mêle un peu de danse…
En fin de soirée, on fair même la chenille dans la maison avec les femmes et les enfants sous le regard interloqué mais amusé des hommes.

Quelle soirée mémorable! Les chants des mentawais sont très beaux. Il est tard quand on se décide à se coucher et les enfants sont surexcités. Mais quelle incroyable soirée!

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